« Tito, amor mijo », Marko SOSIČ
Le jeune garçon par la voix duquel nous parle Marko Sosič est âgé d’une dizaine d’années. Il vit dans un village des environs de Trieste, dans les années soixante, et grandit au milieu d’adultes qu’il essaie de comprendre mais dont les contradictions, soulignées par les fractures engendrées par la Seconde Guerre mondiale, n’ont de cesse de le bousculer. Il s’interroge et, ce faisant, nous questionne nous aussi.
Voici la prière qu’il adresse à son ange gardien : « Fais que je comprenne ce qu’est la patrie, parce que oncle Albert dit que notre patrie, c’est toute la Yougoslavie, alors que madame Slapnik dit que notre patrie, c’est seulement la Slovénie, et maman dit que nous sommes des Slovènes qui vivons en Italie et que nous sommes peu nombreux, que nous allons disparaître s’il n’ y a pas d’enfants et elle dit que nous avons deux présidents, monsieur Saragat et le maréchal Tito, qui n’est pas un monsieur mais un camarade. » En quelques phrases, que l’on pourrait croire naïves, toute la problématique de cet espace triestin est posée.
Cependant, comme toujours chez Sosič, les niveaux de lecture sont nombreux. Roman d’apprentissage, ce livre nous raconte aussi la découverte de l’amour, des sensations physiques, des sentiments, avec à la fois cette poésie et cette violence qui les caractérisent : il y a son amie Alina, dont il entend battre le cœur : « Je l’entends de loin, tandis que je m’approche d’elle. Trop vite, comme dit son papa. Trop vite. Maintenant je l’entends de plus en plus fort, alors que je suis de plus en plus près de son visage, de sa tête, tout petite, aux cheveux roux, fins et longs, aux fines taches de rousseur qui entourent ses yeux verts, qui sont comme la rivière Nediža, qui bruit et murmure, et le soleil brille sur elle. Et je pense que je vais calmer son cœur qui bat trop vite. » ; et puis il y a sa voisine Angiolina, qui lui a promis qu’un jour elle lui montrerait tout ce qu’il y a sous sa jupe ; il y a le curé, le père Vidmar, qui « aime une jeune femme, mais [il ne faut] le dire à personne, parce qu’un curé ne peut aimer que Dieu, [lui explique son cousin] Jurij [...] Tu ne sais pas que les curés n’ont pas le droit de se marier ? Qu’ils n’ont pas le droit d’avoir d’enfants et qu’ils ne doivent aimer que le Christ ? S’ils tombent amoureux d’une femme, ça veut dire que le diable leur a rendu visite… » ; et il y a aussi déjà, dans ce livre, le thème de la guerre en ex-Yougoslavie et de notre responsabilité vis-à-vis de ceux qui en ont été victimes, sujet central de ses deux derniers romans : « Souvent [nonna] dit, après s’être longuement tue, en regardant par la fenêtre de la cuisine : Dieu sait comment va Lojzi en Bosnie ? » Au vrai, le titre, Tito, amor mijo, évoque de façon parfaite le contenu du livre : « Tito » nous situe immédiatement en Yougoslavie, rappelle la période de la guerre froide et ses non-alignés, « amor » nous dit que la passion nous dicte presque toujours nos actes et ce « mijo », mélange d’italien et de slovène, pose la problématique de la frontière et de son dépassement.
Ce deuxième roman de Marko Sosič confirme la veine du premier : solidement ancré dans sa puissance d’expression, son émotion et sa poésie, il est, avec Balerina, Balerina, le point d’appui de l’auteur, le terreau sur lequel pousseront ses deux romans suivants (le premier des deux, Qui de loin t'approches de moi, a donné lieu à un film, qui vient de sortir sur les écrans en Slovénie, intitulé La Comédie des larmes).
Dossier de presse à télécharger : Dossier de presse tito 4 (315 Ko)
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