Tomaž ŠALAMUN (1941-2014)
Tomaž Šalamun par lui-même
« Je suis né le 4 juillet 1941 à Zagreb dans la famille du pédiatre Branko Šalamun, de Ptuj, et de l’historienne de l’art Dagmar Šalamun, Triestine, et suis l’aîné de quatre enfants. Mon père, homme de gauche dès avant guerre (mais jamais communiste, ni alors ni plus tard), a été sauvé par les juifs de Zagreb qui l’ont informé qu’il devait être liquidé, aussi, quatre mois après ma naissance, nous sommes nous réfugiés à Ljubljana. En 1920, mon nonno, bourgeois slovène de Trieste, banquier, avait dû fuir en Yougoslavie devant la violence du fascisme naissant ; la politique a balloté notre famille, moi y compris, pendant près de soixante ans. J’ai grandi à Ljubljana, j’ai suivi ma deuxième année d’école élémentaire à Mostar — où mon père a été déplacé parce qu’en 1947, lors d’un congrès médical qui s’est tenu à Dobrna, il avait critiqué le système soviétique de vaccination BCG pour les enfants — puis, entouré d’une famille idéale, j’ai passé la plus grande partie de mon enfance et de ma jeunesse à Koper...
... Premier souvenir : un soldat italien tellement heureux que l’Italie ait capitulé qu’il saute sur une barrière qui se trouvait en face de notre maison à Ljubljana et la casse. Il y eut encore quelques explosions et bombardements que, en tant qu’enfant, je percevais comme une fête de lumières et d’énergies particulières ; la part d’ombre de ces expériences ne s’exprimera dans ma poésie que deux décennies plus tard. Mon enfance a été pleine de représentations idylliques, de nostalgie pour le monde perdu d’avant-guerre, de piano, de voile et de basket. Dès que j’ai eu quinze ans, mes parents m’ont envoyé chez leurs collègues européens (on échangeait ses enfants), comparer les conditions d’existence dans les années cinquante chez nous avec celles de Bruxelles, Amsterdam ou Paris fut pour moi une expérience traumatisante et libératrice et eut pour conséquence négative que je fus snob un bon moment.
Je ne me suis jamais occupé de poésie, elle m’est advenue comme une sorte de punition pour ma vie privilégiée et aussi de délivrance. À vingt-deux ans, en pleine défaite et questionnements existentiels, mes premiers vers sont littéralement tombés comme des pierres du ciel (une semaine avant que mon meilleur ami d’alors, Braco Rotar, n’écrive ses premiers poèmes et, trois jours avant, Dane Zajc lisait de la poésie lors d’un de nos séminaires d’histoire de l’art). Je fus secoué, étonné, effrayé et me sentis étrangement serein et coupable ; je ressentais de nouveau, à dix ans d’intervalle, cette sorte d’ivresse que j’avais connue en tant qu’enfant prodige du piano. À douze ans, j’avais abandonné démonstrativement le monde de la musique pour celui du sport mais, à vingt-deux ans, je sentis que cette fois-ci c’était du sérieux. En raison de circonstances très particulières, après la parution de deux cycles de poèmes et de quelques articles critiques dans la revue Perspectives, que le pouvoir voulait voir disparaître, je devins son rédacteur en chef. Ce nouveau visage innocent ne sauva pas la revue, on m’emprisonna parce que j’avais écrit le poème Douma 1964, pendant les interrogatoires on me menaçait de me condamner à douze ans de prison, mais on dut me relâcher au bout de cinq jours en raison de la réaction immédiate de la presse internationale, notamment du New York Times. On m’avait rendu un immense service, mes poèmes éveillèrent l’intérêt et, dès lors, je sentis que je devais donner à la poésie absolument tout, pour justifier cette célébrité imméritée et précieuse. Cependant, il me fallut publier mon premier recueil, Poker, en samizdat, le deuxième également, le Sens de la pèlerine, en tant que membre du mouvement OHO, mais cette seconde fois plutôt pour le plaisir de gaspiller. Quand mon grand-père, un avocat influent et combattant du général Maister, est mort, j’ai hérité d’un huitième de sa villa de Ptuj, j’aurais dû m’occuper de mon logement, mais j’ai préféré investir l’argent dans un livre trop cher à fabriquer et au tirage trop important, ainsi que dans des voyages. La villa de Ptuj, ainsi que celle d’Opatija, où ont vécu mes grands-parents après la guerre, étaient à vrai dire des lieux mythiques. Mon arrière-grand-mère était la fille du baron viennois Franz von Mally, général et gouverneur de Zadar, enlevée par l’officier Toplak et conduite à Ptuj. Elle restait couchée dans son lit, blanche comme une momie, tous les soirs nous devions la saluer d’un rituel : « Gute Nacht, liebe Baberle. »
Pendant que je peinais, à Paris, où j’étais censé écrire ma thèse sur la peinture historique française de la première moitié du XIXe, je vécus le même choc émotionnel qu’à la naissance de mon premier poème, cette fois en tant que « conceptualiste ». N’ayant pas conscience que je n’étais que l’enfant de Duchamp, j’ai voulu exposer une armoire dans la bibliothèque Doucet en guise d’œuvre d’art. Ces expérience et vision fortes se renouvelèrent six mois plus tard, quand j’aperçus par la fenêtre d’un autobus une meule de foin. Je rejoignis alors l’OHO, que j’ai socialisé, et nous ai fait participer à une exposition dans la plus grande galerie yougoslave de l’époque à Zagreb, d’où nous avons ensuite essaimé dans le monde. J’ai été invité pour la première fois aux Etats-Unis en juillet 1970 en tant que membre de l’OHO à exposer au MoMA de New York, où j’ai aussi décidé de revenir à la poésie. Suivirent des invitations : l’International Writer’s Program à l’université de l’Iowa (1971-1973), Yaddo (1973, 1974, 1979, 1986, 1989), Fulbright, Columbia university (1987), Morris Grey Lecture à Harvard (2003), etc. J’ai vécu deux ans au Mexique, où j’ai écrit cinq livres et rencontré ma seconde femme, Metka Krašovec, peintre. Avec ma première femme, Maruša Krese, j’ai eu deux enfants, Ana, illustratrice, et David, écrivain et journaliste.
Je ne sais pas ce que j’écris et ça ne m’intéresse pas. Jusqu’à présent, j’ai publié 42 livres de poésie en Slovénie, mes 86 livres traduits sont publiés en 21 langues. J’ai été lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux. De 1996 à 1999, j’ai été attaché culturel à New York. Depuis l’automne 1999, un an sur deux j’enseigne la poésie pendant un semestre dans les universités américaines, un monde dont je fais maintenant partie depuis trente ans. Mon travail influence les jeunes poètes américains. Mes livres sont imprimés par de grands éditeurs comme Suhrkam et Fischer à Francfort, Houghton Mifflin Harcourt et Ecco Press à New York, Visor à Madrid, et je suis présent dans deux anthologies de Gallimard à Paris. J’ai été la plus grande partie de ma vie écrivain indépendant. Je suis membre de l’Académie slovène des sciences et des arts. »
Tomaž Šalamun est mort à Ljubljana le samedi 27 décembre 2014.
Les Editions franco-slovènes ont publié en 2013 une anthologie personnelle de l'auteur, l'Arbre de vie, et le recueil Ambre.
Bibliographie en français
- Poèmes choisis, traduits du slovène par Mireille Robin et Zdenka Štimac, avec l'auteur, Est-Ouest Internationales, Paris, 1995, puis 2001
- Livre pour mon frère, traduit du slovène par Zdenka Štimac, MEET, Saint-Nazaire, 1999
- L'Arbre de vie, traduit du slovène par Zdenka Štimac, Editions franco-slovènes & Cie, Montreuil, 2013
- Ambre, traduit du slovène par Zdenka Štimac, Editions franco-slovènes & Cie, Montreuil, 2013
Dans les médias
- Sur France Culture, le 14 octobre 2012
- Sur la revue en ligne Recours au poème
Montages de Michel Simongiovanni.
Répétition du spectacle Šalamun par Isabelle Côte Willems
Hommage à Tomaž Šalamun : « Je suis l'eau »
Un hommage mondial a été rendu à Tomaž Šalamun le 3 février 2015, intitulé Jaz sem voda, I am the water (« je suis l'eau »), à voir ici.
(L'hommage ayant duré plusieurs heures, il est découpé en quatre parties.)
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