« Grandir. 1973, Slovénie, Yougoslavie », Miha MAZZINI

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Miha Mazzini résume ainsi son roman Grandir. 1973, Slovénie, Yougoslavie : « Il avait douze ans et désirait par-dessus tout avoir un électrophone. Cet électrophone lui permettrait de se faire des amis ou même de parler à une fille et de l'inviter à venir chez lui écouter des disques. Mais le chemin menant à cet électrophone était semé d'embûches : une mère névrotique, une grand-mère si croyante qu'elle en avait perdu la raison, un professeur sadique, sans parler des âmes et des anges. »

Le jeune Egon parviendra non seulement à vaincre tous les obstacles, mais aussi, malgré ses malheurs, à nous émouvoir et à nous faire rire aux éclats.

On découvre dans ce roman d'apprentissage la Yougoslavie de Tito dans les années 1970, racontée du point de vue slovène : ses travailleurs venus du Sud et leur cohabitation dans les banlieues ouvrières, les courses qu'on fait le samedi à l'Ouest, dans l'Italie voisine... et comment on arrive malgré tout à se tenir au courant de l'actualité musicale. Le livre est agrémenté de nombreuses photos d'époque, depuis le fameux électrophone et jusqu'aux diverses représentations de Tito dans toutes les situations possibles et imaginables.

 

Miha Mazzini à la Foire du livre de Bruxelles 2021

Miha Mazzini à Paris du 6 au 8 décembre 2019

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Extrait

Quand nous entendîmes la sirène de l'ambulance, nous écartâmes une nouvelle fois les mains de Nona et y déposâmes le paquet de café pour qu'elle le presse contre sa boule. Je me souvins in extremis de la Vie des saints et l'emportai. Les ambulanciers couchèrent Nona sur une civière et nous partîmes pour l'hôpital. Ma mère sanglota et beugla tout le long du trajet :

« NONA !!! MA PETITE NONA !!! MA BIEN-AIMÉE !!! »

Quant à Nona, elle priait, assez fort elle aussi.

Dans la salle d'attente des urgences, on laissa Nona allongée sur un brancard garé au beau milieu de la pièce, et ma mère et moi nous prîmes place sur un banc. Huit autres personnes patientaient et le camarade assis à côté de moi avait une plaie béante à la tête d'où suintait du sang, et tout au fond on voyait quelque chose de blanc, probablement l'os. Il avait un bouquet de bananes dans les mains. Un couple plus âgé, installé en face de nous, avait aussi apporté ce fruit des pays chauds, et tous les autres caressaient un paquet de café dans leur giron. Je me souvins de Pale, seul au monde. Malheur à ceux qui n'ont personne qui puisse leur procurer, en cas de maladie ou d'accident, des cadeaux à offrir aux médecins.

Le livre posé sur mes genoux recueillit les regards assez surpris voire apitoyés de l'assemblée, signifiant : « Depuis quand les médecins s'intéressent-ils à la lecture ? »

Je pris conscience du fossé existant entre la vraie vie et les films : ceux-ci montrent des services de soin où tout le monde se dépêche, court, panique, mais en réalité tout se déroule au ralenti. Ma mère lia conversation avec le crâne fendu et nous apprîmes qu'il attendait depuis déjà trois heures. Par moments, il perdait connaissance et fléchissait légèrement, ou alors il s'endormait, je ne sais pas, peut-être trouvait-il ainsi le temps moins long.

Tout le monde se taisait, seule Nona récitait à voix haute, sans interruption, des notre-père, son rosaire et des je-vous-salue-marie, ce qui sonnait bizarrement dans un lieu public. Prier n'était certes pas interdit, mais je n'avais jamais entendu de prières en dehors de l'église. À la sortie de la messe de minuit, une voiture portant l'inscription « police » stationnait, et à l'intérieur se trouvaient deux policiers avec le plafonnier allumé pour que nous puissions bien les voir nous observer et prendre des notes.

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Je me préparai à une longue attente et commençai à regarder la photo de Tito, quand le cabinet de consultation s'ouvrit et qu'on y fit rouler le brancard de Nona. D'abord je fus surpris, puis je me dis que c'était probablement grâce à ses prières.

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